Regard israélien sur ces touristes français, qui une fois encore, ont pris Tel-Aviv d'assaut.
" Lorsque je me fraye un passage dans le restaurant ou dans la file d'attente qui mène aux toilettes, automatiquement je dis "pardon" et non "slicha", affirme Uri Stark propriétaire d'un restaurant à Tel-Aviv, " je passe seulement à l'hébreu si la personne ne réagit pas ".
Les touristes français, selon M. Stark représenteraient 90 % de la clientèle de Lala Land, son restaurant situé sur Gordon Beach. A l'intérieur : si l'on n'écoute pas de musique française, les menus ont été intégralement traduits en français et les serveurs ont dû étudier la langue de Molière pour faire face à ces mois d'été chargés.
" Les Israéliens sont toujours présents, mais il est plus difficile de les apercevoir", dit un des serveurs du restaurant, " comparés aux Français, nous sommes en fait assez calmes. Les Français nous ont littéralement submergés "
" Je n'aime pas que l'on critique les Français ", déclare M. Stark, avant de poursuivre : " cela m'ennuie. Il faut être réaliste les touristes israéliens sont loin d'être des modèles en terme de tourisme international. Si vous regardez de plus près, les Français sont en fait d'excellents clients. N'oublions pas qu'ils étaient les seuls à venir durant les deux Intifadas et pendant la seconde guerre du Liban ".
" Mais c'est vrai, ils ont des défauts " admet-t-il. " Ils ont pris Tel-Aviv d'assaut, la ville est encombrée de voitures et de taxis remplis de Français. La plage aussi en est bondée et résultat : les Israéliens restent à l'écart. Même après le départ des Français, les Israéliens mettent un certain temps à revenir. Je comprends pourquoi certains habitants de Tel-Aviv se plaignent que les Français les ont expropriés de leur propre ville.
Sur la plage adjacente , celle de Sheraton Beach, le mégaphone des sauveteurs est utilisé pour diffuser une annonce, en français, bien sûr : " Ce soir à 9 heures, une fête sur la plage sera organisée". Les fêtards sont prévenus. " Qu'ont-ils dit ?" demande une Israélienne, qui a apparemment choisi la mauvaise plage.
Dans un bar, non loin de là, des dizaines de Français, peau tannée et torse nu, sautillent sur de la disco française. Plus tard dans la soirée, ils prolongeront leur soirée dans des boîtes de nuit à Tel Aviv. « Ils apportent leur style de vie nocturne avec eux. Ils viennent ici avec leur DJs et font connaître leurs soirées grâce à des dépliants en français.», dit M.Stark.
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Touristes français sur la plage de Gordon beach à Tel-Aviv. Les Israéliens restent à l'écart, attendant la fin de l'été.
Photo de : Tal Cohen |
Jérusalem n'est pas au programme.
Selon les estimations du Ministère du Tourisme, le nombre de touristes français présents pendant les mois de juillet et août atteindra 80.000 personnes. Un chiffre constant par rapport à l'année dernière.
La France conserve sa seconde place de plus grand exportateur de touristes en Israël après les États-Unis. En moyenne, chaque touriste consacrera environ 870 euros lors de leur séjour et la plupart d'entre eux logera à Netanya et Tel Aviv. Jérusalem en revanche n'est pas une destination prisée des Français. Ceci s'explique par le fait qu'il n'y a pas de mer là-bas.
Apres une mission de deux ans à Paris, Idit Toledano est revenue en Israel. Envoyée au nom de l'ambassade française d' Israël, elle a été affectée dans des écoles publiques pour enseigner l'hébreu aux membres de la communauté juive.
«La plupart des Français qui sont à Tel Aviv pendant l'été, sont des Juifs originaires du Maghreb- des Algériens, des Tunisiens et des Marocains", explique t-elle. "Ils ont une fidélité totale envers Israël. Chez eux, il arrive que les frontières entre patriotisme et traditionalisme se confondent. Il ont le sentiment qu'ils sont opprimés et discriminés en France, à la fois en tant que Juifs et que Nord-Africains."
"Certains sont très riches et ne font rien pour le cacher " convient Toledano. " Ils habitent des appartements de luxes dans le très prestigieux 16 ème arrondissement à Paris, conduisent de grosses berlines et sont très bien habillés"
Près de Gordon beach : l'Hôtel Hilton, c'est là que des milliers de touristes français logent durant les mois d'été. Parmi eux, la parisienne Shirley âgée de 26 ans et sa cousine Johanna, 29 ans sont venues pour un séjour de 10 jours à Tel-Aviv, comme elles en ont l'habitude depuis plusieurs années. " Tel-Aviv c'est la fête", s'exclame Johanna, qui connait bien la ville, ses plages et ses clubs.
" Nous commençons par la plage, puis nous allons faire du shopping et le soir nous nous rendons sur le port " indique-t-elle en agrémentant son français de mots d'hébreu appris à l'école. " Nous nous sentons comme à la maison parce qu'ici tout le monde est français " ajoute la jeune fille.
La Française a déjà séjourné en Israël cette année. Mais en mai dernier, point de plage : la jeune femme avait décidé de visiter des lieux saints, "parce que c'était ennuyeux à Tel-Aviv, il n'y avait aucun français". Aujourd'hui, c'est l'inverse : " on n'a jamais assez de temps. Tout le monde vient ici, pour retrouver des amis et rencontrer de nouvelles personnes ". Elle se tait quelques secondes avant de continuer : " Ils ne réalisent pas que d'une année aàl'autre c'est toujours les mêmes personnes ".
A l'exemple de nombreux autres touristes, Johanna préfère Israël à d'autres destinations plus attrayantes ou moins chères. " Ici, c'est plus pratique car tout est casher. On peut aussi se rendre au mur occidental et respecter le shabbath, puisque tout le monde est juif ", énonce Johanna. " J'ai toujours été une fervente supportrice de l'état d'Israël. Les médias français ne diffusent pas d'informations objectives, mais nous les Juifs, nous savons, par exemple, que les Arabes sont responsables de la tragédie de la flottille de Gaza (qui a eu lieu en mai dernier) ".
Discussion religieuse dans un taxi
Devant l'Hôtel Hilton, se tient Robert, un journaliste parisien de 54 ans qui écrit pour le magazine féminin Prima. " Ces gens n'ont aucune classe, aucune culture" tempête-t-il en hébreu en observant les Français amassés sur la plage. " Ils sont vautrés là toute la journée" et avec une bonne dose d'auto-dérision, il ose : " en fait c'est exactement ce public qui va lire le magazine pour lequel j'écris. Et pour eux, parcourir un magazine féminin, c'est comme lire un livre ".
" Les gens que vous voyez, ne se questionnent pas sur la situation d'Israël ", précise le journaliste. " Ils sont devenus très pro-Israël et anti-arabes. Cette posture est aussi une réaction dûe à l'antisémitisme croissant en France. Ici, ils restent entre eux, et même s'ils viennent plusieurs années de suite ou vivent en Israël, la plupart ne parlent pas un mot d'hébreu ".
Lorsqu'on lui fait remarquer son excellente maîtrise de l'hébreu, le journaliste sourit. "C'est une histoire d'amour. Ce qui aurait dû se passer avec une certaine femme, s'est concrétisé avec la langue. Et cela, sans travailler très dur " raconte-t-il.
Reuven, un avocat de 36 ans, a immigré il y'a quatre ans ,de Versailles en Israël. Lui aussi s'aventure sur la plage de Tel-Aviv en compagnie de son ami Sébastien, qui vit ici depuis 17 ans.
" On dit que si tu viens t'installer en Israel après ta bar mitzvah, ton accent ne disparaitra jamais totalement" affirme Sebastien.
" Ces derniers temps, tout le monde vient vivre en Israël ", s'enthousiasme Reuven. " Je me sens, ici, chez moi. Une semaine après avoir emménagé, je me sentais comme à la maison. Tel-Aviv est une ville internationale".
Pour Reuven, sa confession juive était la principale raison de son établissement en Israël. " J'aime la France, mais à quoi bon être juif en dehors d'Israël ? Au lieu de prier en direction de Jérusalem, il suffit d'acheter un billet d'avion" assure l'avocat. "Ici on peut avoir une conversation portant sur la Torah, même avec un chauffeur de taxi. Cela n'arriverait jamais à Paris. D'une part parce qu'il est impossible d'avoir un taxi et d'autre part, le chauffeur de taxi ne sera jamais juif".
Les amis de Reuven, eux, préfèrent pratiquer "l'immigration boeing", comme ils l'apellent dans le jargon local, en référence à l'avion qui permet des allers retour sentre Paris et Tel-Aviv. " La moitié de la semaine, ils vivent en Israël et l'autre moitié en France. Seules quatre heures de vol séparent ces deux mondes", souligne Reuven.
Nombreux sont les Français qui choisissent de se marier en Israël pendant l'été. Ces derniers mois, Reuven raconte qu'il a assisté à 9 mariages d'amis français. " Ici, tout le monde mène un style de vie casher, donc personne ne peut décliner l'invitation " expose-t-il.
Reuven, justement, est en train de mettre sur pied une entreprise destinée à venir en aide aux Français, propriétaires d'appartements en Israël. Ceux-ci n'y logent que quelques semaines par an, le plus souvent au mois d'aout.
" J'aimerais m'occuper de la location de ces appartements vide la moitié de l'année. L'été les propriétaires pourront y séjourner et financer leurs vacances avec l'argent de la location ", assure l'avocat. "Grâce à mon site internet, les clients pourront administrer leurs propriétés depuis le monde entier. Même si il sont à Paris, ils pourront louer leur biens comme si ils étaient sur place, à Tel-Aviv "
Article : Ofer Aderet, traduction : Juliane Grasser
Consulter l'article dans sa version anglaise sur le site d'Ha'aretz :
http://www.haaretz.com/print-edition/features/the-french-influx-1.309434